L’heure était souriante. Les Chutes s’étaient nimbées des parures du soleil. Brise Tempétueuse avait rarement eut l’occasion de se retrouver en extase devant les miracles de la nature. Une splendide aurore et un crépuscule pluvieux avaient la même valeur à ses yeux. A cet instant, pourtant, toute sa mauvaise fois et son dépit du beau étaient transpercés par la myriade de gouttes d’eau qui formait un mur aquatique devant ses prunelles ébahies. Les chats de Clan avaient droit à ce spectacle aussi souvent qu’ils en avaient envie, pas lui. C’était pourtant en rendant rares les instants de grâces qu’ils pouvaient êtres appréciés à leurs justes valeurs. Des moments de béatitudes, il en avait connu... ah ça oui. Étrangement, ils étaient tous étroitement liés à la mort et à l’odeur du sang. Banal, pour lui. Il savait qu’il n’était rien d’autre qu’un pauvre assassin à la botte d’une entité maléfique, et pourtant, il se sentait bien plus. Sa fourrure emmêlée était la proie des assauts des rafales de vent qui pleuvaient sur son vaste corps. Il se sentait puissant, au summum de sa force. Jamais il n’avait senti une telle détermination dans ses muscles tendus, dans la force de ses yeux, dans l’élan de son coeur, même. Un sourire infect au coin de la gueule, il sut que le Chaos avait ressuscité.
Brise Tempétueuse n’avait rien à faire là. Il était sur le territoire du Clan du Vent, à la frontière avec celui de la Rivière. Il ne se remémorait d’aucun grief ou mauvais souvenir de sa petite personne à cet endroit. Il se sentait bien, il était chez lui. Enfin pas encore... Il avait passé la nuit ici, admirant les multiples facettes du lieu. Il n’était pas rentré « chez lui ». Peut-être son Chef le punirait-il ? Il n’en avait que faire. Il savait que Brume Illusoire n’était rien de plus qu’un éphèbe plein d’ambition mais il était fasciné et dégoûté à la fois de son hideuse beauté. Il était contraint de faire semblant, de suivre docilement ses paroles, de faire croire qu’il était retenu par la peur. Sa pourriture de Chef avait besoin de croire ça. Mais d’une certaine manière, c’était lui qui était crédule... Personne n’avait peur de lui. Tous le suivaient, car ils pensaient que c’était le félin le plus apte à concrétiser la rancœur qui les réveillait. Et rien de plus.
Un bruit dans les broussailles capta l’attention du félin écaille. Une proie. Tient donc, voilà qui ferait certainement son repas. Froid comme la mort, il se plaqua au sol et s’approcha, pour seul signe sa longue queue dressée en arrière. Ce n’est pas rien, certes, mais dans son esprit il ne comptait pas se contorsionner pour une simple grive. Il la tua d’un coup de dent. Satisfait d’avoir attrapé une proie, fait quasi exceptionnel pour la saison, il entreprit de la dévorer. Peine perdue, un effluve de chat lui parvint au museau, il en rageait presque. Il voyait déjà la mine épouvantée du chat de Clan qui se tiendrait bientôt devant lui, et cela lui plaisait intensément. Un rictus au coin de l’œil, il se retourna.