La féline était là, chassant en solitaire, comme elle le faisait depuis une ou deux lunes environ. Repérant l'odeur d'une proie, elle s'enfonça un peu plus dans la forêt, et se plaqua contre le sol, guettant. Soudain, l'odeur de trois chats lui parvint aux narines. Ses yeux s'écarquillèrent. Là, sur son territoire, se trouvait deux chats qui n'avait rien à faire là ! Deux chats à l'odeur de boue mélangée à quelque chose d'autre. Et avec ces chats, discutant tranquillement, sans aucune pointe d'agressivité dans la voix, mais plutôt de la confidence, se trouvait un chat de son Clan. Ce chat ? Elle savait très bien qui c'était. Elle tendit l'oreille, essayant d'intercepter des birbes de la conversation.

".... Attaque. Le Clan est au mieux de sa forme... Peu de reines... Pas de jeunes apprentis.
- Je vois. Attendons quelques lunes.
- ... Baisseront leur garde... Attaqueront à ce moment là."

La féline se leva brusquement. Les trois chats la repérèrent à ce moment là. Sans plus réfléchir, elle s'élança dans la forêt. Non, elle ne devait pas les mener jusqu'au camp. Voyant qu'elle ne pouvait semer ses poursuivant, avant de commencer à fatiguer, elle les guida là où elle pourrait profiter du terrain. Et elle se retourna, les attendit. Et le combat s'engagea. Alors qu'elle s'occupait de riposter contre l'un des guerrier du Clan adverse, le Combattant de son Clan lui lacéra le visage.

Plume Ténébreuse se réveilla en sursaut. Les yeux ouverts, elle vérifia autour d'elle si quelque chose n'allait pas. Geste qu'elle savait cependant inutile. Ce n'était qu'un rêve... Un simple rêve, souvenir remontant de l'époque où elle n'était encore qu'un chaton, de l'époque où elle voyait encore. Jamais, depuis qu'elle avait quitté sa forêt natale, elle n'avait rêvé du passé. Alors pourquoi maintenant ? La féline secoua la tête. Inutile d'y songer maintenant. Ne pouvant compter sur sa vue, la féline vérifia les réserves de plantes entreposées çà et là au moyen de ses pattes. Bien que correctes, un peu plus de réserves ne feraient pas de mal. Au fond, ce n'était qu'une excuse qu'elle se donnait pour sortir se changer les idées.
La Guérisseuse sortit de sa tanière, s'imprégnant de l'air frais qui régnait encore dans le camp. Cela ne faisait pas de doute, le soleil n'était pas encore levé. Tant pis. Elle avança vers ce qu'elle croyait être la sortie du camp, fonçant droit vers... un mur de plantes. Non, l'obscurité nocturne n'y était pour rien. Qu'il fasse jour ou nuit, rien n'y changeait. Ce qui aurait pu changer quelque chose, c'était sa cécité. Totale et permanente, malheureusement. depuis le jour où elle avait perdu la vue, elle n'avait plus revu les couleurs qu'en rêve. Et la dernière fois qu'elle les avait revu autrement que par le biais de ses souvenirs, c'était le jour où elle était entrée en communication avec le Clan des Étoiles. Juste avant, elle avait pu voir à quoi ressemblait ses parents, un court instant. Et après, elle avait pu voir à quoi ressemblaient jadis les chats qui lui avaient parlé. Mais cela lui importait peu, désormais. Ses autres sens s'étaient affinés et étaient devenus plus aiguisés que ceux des autres chats. Ainsi, elle entendait ce que les autres ne pouvaient pas, elle sentait avec plus de précision encore ce que les autres sentaient. Et elle avait appris à discerner, en se concentrant, les odeurs des différentes plantes, notamment les arbres, ce qui lui permet d'éviter les obstacles invisibles à ses yeux aveugles. Seulement, en temps normal, elle ne se concentre pas assez sur son odorat pour cela. Ça lui est bien inutile, la plupart du temps, désormais. Elle avait totalement renoncé à son passé. La forêt où elle avait grandit, sa famille adoptive, Feuille, celui à qui elle devait ses talents de guérisseuse, et son défunt mentor qui n'avait pas vu la trahison venir... Elle les avait tous laissés en arrière. Gardant un minuscule lien avec eux, elle avait d'abord choisit d'errer de forêts en forêts, puis elle avait finalement rejoint un autre Clan, qui n'était pas sous la protection du Clan de l'Aurore, tournant définitivement le dos à ses ancêtres et à ceux qu'elle avait jadis aimé. Désormais, elle avait quelque chose à accomplir, même si ce quelque chose n'était qu'une excuse pour continuer de fouler le chemin de la vie. L'ancienne solitaire s'arrêta, posant sa patte sur ce qui se trouvait devant elle. Encore une fois, elle n'avait pas suffisamment ouvert ses sens pour savoir si, oui ou non, elle prenait le bon chemin. Se concentrant, cette fois-ci d'avantage, sur son odorat, elle reprit le bon chemin. Et elle sortit du camp qui était désormais sien.

Contrairement au camp, il était bien plus facile de se diriger sur les plateaux. L'odeur des chats du Clan, dont son pelage refusait de complètement s'imprégner, n'y était pas présente partout jusque dans les moindres recoins. marchant un peu au-hasard çà et là, la féline laissait ses yeux ouverts, dans lesquels se reflétaient parfois la lune disparaissant au lointain. La température, à l'extérieur, se réchauffait légèrement. Le soleil allait se lever, et avec lui, presque tous les chats et leur train-train quotidien. Dans la partie forestière des territoires Félins, les Guerriers et Apprentis du Clan du Tonnerre se réveilleraient, mangeraient rapidement, pendant que leur lieutenant distribuera les tâches du jour. Puis, apprentis et guerriers iront s'entraîner, chasser patrouiller... Le guérisseur, lui aussi, mangera, avec son apprenti, avant de lui faire réciter nom des plantes et propriétés. Les reines, quand à elles, allaiteront leurs petits. Les chatons, eux, commenceront leur journée de jeux et de bêtises en tout genre. Et les anciens sommeilleraient dans leur antre, vaquant à leurs occupations habituelles qu'étaient discuter entre eux et raconter des histoires aux chatons, donnant de temps à autres quelques conseils aux apprentis ou guerriers venant les voir. Et dans les marais, il en sera de même pour le Clan de l'Ombre. Le Clan de la Rivière aussi, sur son île, suivrait cette routine habituelle. Et il en ira de même pour son propre Clan, perché sur les Hauts Plateaux, le Clan du Vent. Quand à ce Clan puant la mort et le sang, elle n'en savait rien. Et elle n'en avait d'ailleurs fichtrement rien à faire. Ainsi, la gueule ouverte, profitant du soleil levant réchauffant son pelage d'onyx et de neige, Plume Ténébreuse se servait des odeurs qui venaient lui chatouiller les narines pour essayer de construire mentalement le paysage qui l'entourait, recherchant les odeurs de plantes connues et utilisables une fois sécher. Et, immobile, le nez au vent, une fois le soleil complètement visible dans ce ciel bleu où traînait quelques nuages, néanmoins invisibles aux yeux autrefois ambrés de la féline, lui parvient de derrière elle l'odeur d'un chat de son Clan. Reconnaissant l'odeur, elle prononça seulement quelques paroles :

- Ah, c'est toi...