Le temps était au beau fixe en ce moment, surtout pour une saison telle que celle des feuilles mortes. Un froid sec mais plus que supportable régnait depuis quelques jours, que le faible vent qui soufflait ça et là et faisait virevolter les feuilles qui s'échappaient des arbres ne parvenait pas à perturber. Le soleil montrait parfois le bout de son nez, perçait les nuages et venait déposer ses doux rayons réconfortants sur les membres du clan du Chaos. Mon humeur était parfois semblable à celle du temps. Mon moral se maintenait. En ce moment, le rôle de meneur du Chaos était d'une douceur infinie. Je déchargeais tout le sale boulot sur mon lieutenant qui n'osait émettre la moindre objection et passais mes journées à faire ce que bon me semblais. Il n'y avait pas réellement de guerre en vue, ce qui m'embêtait tout de même particulièrement. Depuis mon retour, j'avais parfois l'impression que le clan se ramollissait à vue d'œil. Les membres semblaient ne plus savoir vraiment pourquoi ils étaient dans ce clan. Je n'entendais plus les commères du Chaos parler de conflits avec d'autres chats de clan. En bref, le clan du Chaos était en '' pause ''. Il allait falloir remédier à cela rapidement.

Pensive, je me trouvais à une extrémité du camp, assise la queue enroulée autour de mes pattes, songeant à de sombres desseins, lorsque la voix de mon lieutenant m'interpela. Il confiait une patrouille à Valse de Papillon qui semblait peu se soucier de ce qu'il pouvait bien lui dire. Ces deux-là ne s'aimaient pas et ce n'était un secret pour personne. Parfois, mon lieutenant m'exaspérais au plus haut point. Il était très autoritaire et n'hésitait pas à donner des ordres. J'aurais été une guerrière, je pense que j'aurais eut beaucoup de mal à le supporter. Vous me diriez … Pourquoi l'avoir choisi comme lieutenant alors ? Et bien tout simplement parce qu'il était un des rares qui faisait l'affaire. J'étais persuadée qu'il ne me trahirais pas -il me craignais trop pour cela- mais ce n'était pas pour autant que je lui faisait confiance. En fait, dans ce clan de traîtres, je ne parvenais à accorder ma confiance à personne. Je m'attendais toujours à ce qu'on me plante un couteau dans le dos.

C'est ainsi que je vis Valse du Papillon partir et ce cher lieutenant la suivre quelques instants après. Je me levai d'un bond et l'interpela.

▬ Qu'est-ce que tu fais ? Lâchais-je sèchement.

Le lieutenant baissa la tête en signe de soumission tout en me répondant.

▬ Je ne suis pas sûr que Valse du Papillon soit vraiment digne de confiance. J'allais m'en assurer.

▬ Et moi je ne suis pas sûre que ce soit à toi d'en juger ! Finis-je en secouant la queue, menaçante, avant de me détourner de lui et de partir à la suite de la guerrière.

Je ne connaissais pas vraiment Valse du Papillon. Du moins pas intimement. On m'avait soufflé qu'elle vénérait Brume Illusoire, l'ancien meneur du clan du Chaos qui avait déguerpi quelques temps avant. Je le haïssais, lui qui avait oser tuer Source d'Emeraude, qui m'avait nommée lieutenante à l'époque. Il était parti avant que je n'ai pu venger l'ancienne meneuse, et j'en gardais un goût atrocement amer au fond de la gorge. Je m'étais promis de le retrouver et de lui faire la peau dès que l'occasion se présenterait. Malheureusement, à l'heure actuelle, toutes mes recherches avaient été veines. En sortant du camp, je marquais une pause et m'étirais longuement. Je finis par lever le museau en l'air et ouvrir la gueule, à la recherche d'effluves de Valse du Papillon. Je finis par la reconnaître, assez rapidement puisqu'elle était fraiche. Je me lançais donc à sa poursuite, en n'ayant aucune idée de l'endroit où elle était allée. Je finis par arriver aux grottes sans difficultés puisqu'elle n'avait pas pris la peine de camoufler son odeur derrière elle. Mon lieutenant se trompait sur son compte et ça ne m'étonnait nullement. Je pénétrais dans les grottes sans tenter la moindre discrétion. Une petite mise au point avec Valse du Papillon serait peut-être la bienvenue.

Je pénétrais dans les grottes et finis par trouver Valse du Papillon dont les paroles précédèrent mon arrivée.

« Poussière d'Étoile. »

La guerrière me fixait, et je devinais qu'elle n'éprouvait pas que du respect à mon égard, non. Quelque chose de plus profond et moins aimable. Elle finis malgré tout par pencher la tête pour me saluer. Je plongeais mes yeux verts émeraudes dans les siens. Je ne pouvais pas savoir ce qu'elle pensait mais ces yeux-là ne me disaient rien qui vaille.

▬ Les ordres de ton lieutenant te déplairaient-ils ? Demandais-je sans la moindre once de reproche, neutre.

Effectivement, d'après leur conversation, Valse du Papillon n'était pas sensée se trouver là mais plutôt aux frontières du clan de la Rivière. Enfin un peu d'action et de mouvement dans le clan du Chaos, les petites embrouilles comme celle-ci me manquaient et si l'envie me prenais pourquoi ne pas jeter un peu d'huile sur le feu ? Après tout il faut bien raviver la flamme de ce clan et quoi de mieux que des querelles pour cela ?

▬ Comme tu dois t'en douter, tu n'es pas sensée te trouver là. Rajoutais-je en faisant un pas en avant, un sourire mielleux au coin des lèvres. Je jouais sur plusieurs tableaux, mon sourire était ironique et faux mais j'étais tout à fait calme pour une fois.

J'observais l'attitude de Valse de Papillon avec attention. Mes yeux, deux fentes, perdues dans un océan de différentes nuances de vert, afin de mieux capter la faible luminosité qui régnait ici, transperçaient la pénombre des grottes. Instinctivement, sans presque m'en rendre compte, sans que je ne l'eus décidé, mes sens se mirent d'eux-même aux aguets. En fait, au fil des minutes qui s'écoulaient, je finis par trouver l'air ambiant de plus en plus étouffant. Valse du Papillon tourna la tête de côté. J'en profitais pour sortir et rentrer mes griffes discrètement tant qu'elle ne regardait pas afin de me détendre un peu. J'étais calme il y a cinq minutes à peine. Qu'est-ce qui me prenait de me mettre dans cet état-là, comme ça d'un coup ? Je me savais impulsive mais tout de même. Comment une seule pensée pouvait-elle me mettre dans un état paranoïaque tel que celui-là ? Comment une pensée pouvait faire bouillir mon sang dans mes veines et me le faire monter à la tête ? Pourquoi avais-je pensé à ça, aussi ? J'étais chef maintenant, j'avais gagné ma place, je savais me défendre, je réussissais à me faire respecter et pourtant, un doute, un seul, subsistait. Et ce doute, il était assis là. En face de moi. Je ne pouvais pu le nier. Valse du Papillon ... Elle, dont on m'avait tant parler pour me prévenir de me méfier. Elle qui n'avais d'yeux que pour ce traître. Ce traître qui avait lui même tuer son propre chef pour prendre sa place. Au clan du Chaos, il n'y avait pas de morale, il n'y en avait sûrement jamais eut. Être chef était un poste à haut risque, autant envers les autres, qu'envers les siens. Qu'est-ce qui empêchait Valse du Papillon de me sauter à la gorge et d'essayer de me faire la peau pour suivre les traces de son idole ? Rien, rien du tout. Ou peut-être juste la crainte que ce ne soit moi qui ne la tue avant. Clairement, elle ne m'admirait pas, j'irais même jusqu'à dire qu'elle ne m'aimait pas, au clan du Chaos, les sentiments positifs sont de toute manière enfermées derrière des murs infranchissables et indestructibles. Un frisson, presque imperceptible, parcourut mon échine. Mes pensées en devenaient presque incohérentes. J'essayais d'oublier la haine que j'avais contre Brume Illusoire et la diriger vers les chats des clans puisque le retrouver était une tâche vouée à l'échec. Mais en croisant Valse du Papillon chaque jour, cela sera difficile. Un peu de ma haine envers Brume Illusoire s'échappait, se promenait, s'égarait et se posait sur Valse du Papillon. Une traîtresse parmi les traîtres, il en était impossible autrement.

Le regard de la guerrière m'aida à me sortir des pensées qui se bousculaient à l'intérieur de mon crâne en ébullition.

« Non, pas vraiment. »

Pas vraiment ? Ce n'était pas la bonne réponse. Dommage. Pour elle, ou pour moi ? Valse du Papillon n'esquissait pas le moindre mouvement, imperturbable. J'étais incapable d'en faire de même. J'étais restée debout et me déplaçait occasionnellement de quelques pas, secouais la queue ou agitais les oreilles. J'avais toujours eut du mal à tenir en place, même étant chaton. Ce qui pouvait être considéré comme mignon en tant que chaton l'était beaucoup moins en tant que chef puisqu'on pouvait avoir tendance à prendre ma mobilité pour du stress, de l'agitation inutile.

« J'ai du mal entendre les consignes du Lieutenant. Mais j'imagine que tu seras tout à fait capable de me dire où je suis censée être puisque j'ai l'air étroitement suivie. »

Pendant qu'elle parlait, j'avais réussi tant bien que mal à me reprendre et à évacuer au moins un peu les pensées qui me submergeaient jusqu'ici. J'avais pu remarqué qu'elle semblait mépriser au plus au point notre lieutenant, ce qui ne m'étonnait pas le moins du monde. Elle n'avait pas froid aux yeux et sa façon de me parler pourrait presque passer pour irrespectueuse. En tant que meneuse, ce n'était pas sensé me plaire mais au fond, bien au fond cependant, caché derrière un tas des sentiments plus noirs les uns que les autres, ça me faisait sourire de manière -trop?- nostalgique. J'étais comme ça avant et ne plus pouvoir me confronter à quelqu'un '' soit-disant '' supérieur à moi me manquait.

Ne dit-on pas que la meilleure défense est l'attaque ?

▬ De la part de quelqu'un qui vénérait un traître, cette allusion m'étonne. Pourquoi te suivrais-je ? Aurais-tu quelque chose à dissimuler ?

Faire allusion à Brume Illusoire était le meilleur moyen de mettre les pieds dans le plat. Mais ce n'était pas forcément une bonne idée. Impulsivité, merci !

Quelques secondes après la phrase que je venais de prononcer, l'ayant balancer tel un cheveu sur la soupe, j'avais cesser de m'agiter et concentrais toute mon attention sur Valse du Papillon qui paraissait sortie de ses gonds. Pour dire vrai, je ne l'avais jamais vu de cette façon, elle qui était si imperturbable d'habitude. Son pelage avait doublé de volume et la faisait paraître plus imposante qu'elle ne l'était, le silence inquiétant de la grotte avait été remplacé par un bruit d'autant plus inquiétant : un grondement tout droit venu du plus profond de la gorge de la guerrière, ses yeux lançaient des éclairs de très mauvaise augure dans ma direction et la grotte paraissait avoir rétréci après que Valse du Papillon ne se soit levée. Elle paraissait avoir beaucoup de mal à se retenir pour ne pas me sauter dessus. J'étais prête et déterminée à la recevoir comme il se devait si elle tentait quoi que ce soit. Je l'avais cherchée, je l'avais provoquée et j'avais décidé dans assumer les conséquences quoi qu'il arrive. Mais, sans que je comprenne réellement ce qu'il se passait, le silence revint prendre possession des lieux et Valse du Papillon sembla se calmer. Je ne le montrais pas mais j'étais plutôt impressionnée. Si je me retrouvais dans l'état dans lequel elle s'était trouvée quelques instants auparavant, je serais incapable de me contenir et je n'en doutais pas. J'étais trop impulsive et j'avais beaucoup de mal à songer aux conséquences de mes actes. Elle, était différente. La chatte qui me faisait face me dépassait, et de loin, en matière de self-control.

Ses yeux se détournèrent de mon regard sans que je ne cesse de la fixer. J'observais et analysais le moindre de ses faits et gestes. L'orage semblait être passé mais j'avais bien conscience qu'on était pas à l'abri d'un retour de sa part. La guerrière du clan du Chaos finit enfin par redresser la tête et daigner me répondre.

« Qui sait ? Après tout, le Clan du Chaos n'est pas vraiment réputé pour ses membres à la fidélité absolue. Et je trouve cela assez paradoxal qu'une féline qui a quitté son Clan puis a décidé soudainement de réapparaitre pour prendre la place de Chef étrangement vacante me parle de trahison... »

Je me souvenais parfaitement de cette bataille qui avait failli m'être fatale comme si c'était hier. J'étais lieutenante, à l'époque et comme tous les autres membres du clan du Chaos je m'étais battue pour mon clan, avec courage et sans la moindre peur. Cependant, les circonstances étaient ce qu'elles étaient et j'avais dû abandonner ce fameux clan au plus mauvais moment, au moment le moins propice, au sommet de la bataille. Je n'avais alors pas eu d'autres choix. Il fallait que je sauve ma peau, à n'importe quel prix. Mes blessures étaient beaucoup trop importantes et je n'étais plus en mesure de me battre, à peine de me défendre. Je n'étais pas comme tous ces fous qui décidaient de se battre pour leur clan au péril de leur vie. Je n'étais pas si inconsciente et dans n'importes quelles circonstances je choisirais toujours de sauver ma vie au péril de mon clan, meneuse ou pas. Si c'était à refaire, je l'aurais donc refais. Et le temps qui avait passé m'avait appris que j'avais eu raison de réagir ainsi puisque j'étais vivante et chef de clan. J'avais eu ce que je désirais au final. Mais pouvait-on me considérer de la même façon de Brume Illusoire qui avait fait la pire chose qui soit pour atteindre ce poste tant désiré ? Non. Non. Et non. Jamais on ne me comparera à ce traître.

▬ Ne lâches pas des choses comme ça dont tu ne sais rien. Tu n'étais pas là, à ce que je saches ? (hs : dis moi si je me trompes, je modifies (: ) Et qu'est-ce que tu insinues ? Que je suis responsable du départ de ton cher et tendre ?! Ah, si seulement ! Tu ne peux pas savoir à quel point j'aurais aimé le tuer de mes propres griffes, le faire souffrir et lui faire regretter amèrement d'être venu au monde. Mais monsieur s'est conduit comme un lâche et a disparu sans laisser de traces. Un lâche, c'était tout ce qu'il était. Et ça m'attriste que tu sois aveuglée au point de ne pas t'en rendre compte.

Je repris mon souffle à la fin de ma tirade. J'avais déballé tout ces mots sans me laisser le temps d'inspirer ou d'expirer et accessoirement de réfléchir. Je n'avais aucune idée de l'impact que mes mots auraient sur Valse du Papillon. Allait-elle conservé sa façade si calme, ce masque dénué de sentiments qu'elle arborait toujours ? Ou au contraire ne pas me laisser le temps de dire ' ouf ' et se jeter sur moi ? Dire ça m'avait fait un bien fou. Après ça, je me sentais plus légère même si j'en pensais bien plus et que je n'avais pas encore déballé tout ce que j'avais sur le cœur.