La matinée était déjà bien entamée.
C'était un de ces matins de la saison des Feuille Mortes où l'on a envie de ne rien faire. Les nuages cachaient le soleil, on ne voyait pas le moindre rayon de l'astre du jour poindre à travers la couche de gris. Le vent soufflait, toujours plus fort, faisant tournoyer les feuilles marrons, jaunes, oranges et rouges de la mauvaise saison – enfin, du début. Il faisait frissonner bien des chats, d'ailleurs. Quelques gouttes de pluie tombaient sur le camp du Clan de l'Ombre et, même si cette pluie était fine, elle n'enchantait pas du tout les chats, bien au contraire. Les petits ne sortaient pas de la Pouponnière, leurs mères avaient trop peur qu'ils attrapent froid où qu'ils glissent dans les flaques d'eau. Les apprentis partaient tête basse à leur entraînement quotidien, souffrant à cause de la pluie et du froid. Les anciens râlaient dans leur tanières, soit parce qu'ils avaient faim, soit parce que leur mousse était trop humide, soit encore parce qu'ils avaient le rhume. Chez les guerriers, ce n'était pas non plus le grand bonheur ; ils vaquaient tous, nonchalamment, à leurs occupations habituelles. Plusieurs Patrouille de chasse avaient été envoyées ; le gibier se faisait de plus en plus rare. La réserve se vidait plus de jour en jour, et les chats du Clan commençaient à se plaindre de la faim.

Poison d'Amour se tenait au milieu du camp, assis, un campagnol devant lui. Il regardait les chats de son Clan. Tous commençaient à paniquer à cause de la mauvaise saison. Il leva les yeux au ciel, et soupira. Mais qu'est-ce qu'ils craignent ? On a du gibier, un camp et pleins du guerriers en forme, le ciel ne va pas leur tomber sur la tête ! Il mordit avidement dans sa proie, et mâcha sans complexe. Après avoir avaler, il se mit tout à coup à éternuer. Et merde. C'est vrai que j'ai pas assez d'ennuis comme ça. Il avait ce rhume depuis le matin-même ; il s'était réveillé en éternuant, et tous ses compagnons avaient ri. En secouant la tête, il commença à planifier sa journée ; pour l'instant, il n'avait été nommé dans aucune Patrouille, et cela l'arrangeait. Il irait chasser pendant l'après-midi, seul, sans personne. Sans personne pour venir le tirer de ses pensées. Sans personne pour lui parler de sujets dont il se moque royalement. Sans personne pour lui tenir compagnie. Seul. Il se sourit à lui-même. Il ne se rendait pas du tout compte à quel point il était d'humeur machiavélique ; il savait juste qu'il aimait sa solitude. Mais son sourire ne dura pas. Un apprenti qui passait par là, en courant comme s'il avait été poursuivit par un fantôme, lui écrasa la queue. Le guerrier gris lui cria dessus, lui rappelant qu'il avait besoin d'un minimum d'espace vitale pour vivre, et qu'il venait de le franchir. L'apprenti, connaissant que trop bien le caractère du guerrier gris, ne répondit pas. Il se détourna, et murmura en partant un « Désolé » presque inaudible. Pfff ! se dit Poison d'Amour. Quel sale petit chieur, celui-là ! Il mordit encore dans le campagnol à pleine dents. Regardant fixement devant lui, il se demanda un instant s'il n'avait pas été trop injuste avec cet apprenti ; il secoua bien vite la tête. Lui, devenir un chat plein de compassion ? Mais le monde tournait à l'envers ! Cet apprenti avait marché sur sa queue, il n'allait quand même pas s'en tirer sans une remarque acerbe ! ♪

Il finit bien vite sa proie, et n'en laissa aucune miette. Les fines gouttes de pluie dégoulinaient sur son pelage, s'arrêtaient parfois, et continuaient leur course folle jusqu'au sol. Poison d'Amour reçu une goutte d'eau dans les yeux ; il secoua la tête en grognant. Son œil le piquait. La sensation était très désagréable. Il passa sa patte avant sur son œil ; l'eau partit. Il cligna plusieurs fois des yeux ; si quelqu'un l'eût observé, il l'aurait pris pour un fou ; heureusement, aucun regard ne s'arrêtait sur lui. Et puis il n'y avait pas beaucoup de monde dans le camp. Tous les chats étaient partis à leurs occupassions habituelles. Poison d'Amour se redressa. Il s'étira longuement, ce qui fit pour effet de lui tirer un bâillement, grogna, et se rassit – non mais quel gros flemmard, celui-là XD. Il allait se mettre en boule et fermer les yeux quand il vit qu'un chatte se dirigeait vers lui. C'était Fleur Éphémère, une guerrière du Clan. Que pouvait-elle lui vouloir ?

- Poison d'Amour, tu dois partir en Patrouille à...
- Aaaaaaa...
- ... midi sur les frontières du Clan du Tonnerre. Étoile Rousse a dit qu'on ne...
- ATCHAAAAA !
- ... savait jamais, avec eux... Roooh, tu aurais pu éviter de me mettre de la morve dessus !
- Oh putain, mais c'est ma faute si j'ai un rhume ? C'est bon, Fleur Éphémère, tu m'as informé, c'est bien gentil de ta part, merci bien. Maintenant, laisse-moi tranquille.

La guerrière le jaugea un moment du regard, voulut répondre, mais elle se retint. Elle le regarda de haut en bas, le détailla, et lâcha un soupir. Elle tourna le dos et, après un dernier regard vers le guerrier gris, prit congé. Poison d'Amour prit conscience qu'il n'avait absolument aucune envie d'aller à cette Patrouille ; il y était bien obligé, pourtant. L'ordre venait de haut, et même s'il ne pensait pas vraiment du bien de ce « haut », il n'en restait pas moins impuissant face à la situation. Que faire ? Dire à son meneur qu'il ne peut pas y aller ? Oui, mais pour quelle raison ? Un simple rhume ne serait pas suffisant pour dissuader Étoile Rousse. Non. Il devait y aller, un point c'est tout. Il se leva, regarda une dernière fois la tanière des guerriers où il aurait pu faire un somme, là, en ce moment-même. Il soupira.
On est guerrier ou on ne l'est pas.

La Patrouille se passa sans événement marquant, enfin, on ne considérait pas le fait d'avoir renouvelé le marquage du territoire comme marquant, quoi. Quand Poison d'Amour rentra au camp, en milieu d'après-midi, la pluie s'était arrêtée de tomber, mais le vent, toujours aussi froid, était aussi persistant qu'à son départ. Une reine faisait rentrer son petit qui était sorti de la Pouponnière. Poison d'Amour pensa d'abord à aller s'allonger quelque part et piquer un petit somme ; il eu une meilleure idée. Il allait se balader, tient. Où ça, il n'en savait rien. Il savait seulement qu'il avait besoin de se changer un peu les idées. Alors, après avoir dit à son Lieutenant qu'il partait chasser – ce qui n'était pas faux au passage, puisqu'il attraperait les proies qu'il verrait – il sortit du camp. Il se mit à marcher, sans savoir vraiment où il allait – peut-être le savait-il inconsciemment ? - mais avec une certitude en tête : se changer les idées. Ses pensées virevoltèrent à ses deux compagnes défuntes ; il s'en voulait pour leur mort à toutes les deux. Il se rappelait encore du doux parfum de Fleur d'Eté quand elle passait à côté de lui, et de la confiance inébranlable qu'il avait accordé autant à l'une que à l'autre. Il se rappelait encore du caractère de Cœur de Glace, un caractère ressemblant étrangement au sien. L'ancienne guérisseuse, qui avait enfreint le code du guerrier pour lui – même si lui se fichait du code du guerrier et ne croyait pas à l'existence du Clan des Étoiles – était morte en mettant bas – un signe du Clan des Étoiles ? C'était en tout cas comme cela que le Clan l'avait interprété. Fleur d'Eté, elle, était morte à cause d'un blaireau. Poison d'Amour s'en voulait énormément de ne pas avoir réussi à tuer le blaireau avant que celui-ci ne donne la mort à sa compagne. Il s'arrêta soudain, comme s'il venait de réalisé qu'il ne se rendait pas compte de là où il allait – enfin, c'était le cas. Il se trouvait dans le Désert. Pourquoi ici ? Pourquoi pas à un autre endroit ? Lui-même ne le savait pas.
Mais il s'en fichait.

Il s'allongea sur le sable, profitant du confort des petits grains. Il ferma les yeux. Si un chat le voyait, il croirait sûrement que le guerrier gris du Clan de l'Ombre s'était endormi. Mais non. Il est bien éveillé, ne vous inquiétez point, cher monsieur-madame. En même temps, qui pourrait s'inquiéter pour lui ? « Moi » soufflèrent deux voix simultanée à son oreille. Un instant, il crut que c'était possible, qu'elles étaient là, à côté de lui, le dévorant du regard. Mais il revint sur terre. Le Clan des Étoiles n'existait pas. Et Cœur de Glace et Fleur d'Eté était morte. Morte. Non, elle ne sont pas morte, pensa Poison d'Amour.
Elles continuent toutes les deux à vivre dans mon cœur.

Ce fut une odeur étrange qui le tira de ses rêveries. On ne peut pas rester tranquille un instant, dans cette forêt, c'est pas possible ! se dit Poison d'Amour. Avec tristesse et mélancolie, se relevant lentement, éperdu de fatigue, il abandonna ses souvenirs pour revenir à la réalité. Etant face à l'astre du jour, il fut ébloui par la clarté qu'il dégageait. Il grogna un instant, cligna plusieurs fois des yeux. Quand il les rouvrit, il se rendit compte qu'un chat, ou plutôt une chatte, lui faisait face. Elle n'avait pas l'air très âgée ; ce devait être une apprentie d'une dizaine de lunes. Elle était du mauvais sens du vent. On voit bien par là que c'est une apprentie, se dit Poison d'Amour. Un guerrier ne ferait pas ce genre d'erreur. Enfin un guerrier du Clan de l'Ombre, tout du moins. Il analysa facilement son odeur. Elle venait du Clan du Tonnerre. L'espace d'un instant, le visage du guerrier de l'Ombre fut vide et sans émotion. Il s'étira pour se réveiller un peu, bien qu'il ne se fut pas endormi ; mais ses pensées l'avaient tellement absorbé qu'il n'arrivait plus à s'en dépettrer. Puis, un sourire éclaira son visage ; un sourire malsain, cynique. Un sourire que seul lui arrivait à maîtriser parfaitement, lui le chat le plus cynique de la forêt. Il se mit tout d'un coup à rire, d'un rire froid, méprisant. Comment se faisait-il qu'il riait comme ceci, pour faire du mal à l'apprentie qui était devant lui ? Comment se faisait-il que le jour se levait, que la forêt existait, que les Bipèdes polluaient et que la paix entre les Clans n'existait pas ? Se rapprochant de l'apprentie, il parla, d'une voix claire et forte.

- Un chat du Clan du Tonnerre, et une apprentie qui plus est. Je ne m'attendais pas à ce genre d'attaque surprise destinée à me faire peur. De toute façon, en attendre beaucoup du Clan du Tonnerre n'est jamais une bonne chose... Ahah !

Il recommença à rire, comme si cela était une bonne blague, la meilleure qu'on lui ait jamais faite. Mais au bout d'un moment, il s'essouffla, et il fut contraint de se calmer. L'apprentie avait-elle peur ? Elle devrait, se dit Poison d'Amour. Je pourrais la déchiqueter en un coup de patte. Un oiseau passait au-dessus d'eux, piaillant comme s'il avait été pourchassé par une horde de chat. Il se posa sur le sable ; l'occasion rêvée pour le guerrier du Clan de l'Ombre de montrer à cette apprentie ce qu'il vallait. Doucement, se mettant dans le sens du vent, ses pattes frôlant à peine le sable humide du Désert, il se rapprocha de sa proie. L'oiseau devait être blessé sûrement ; le Désert n'étant pas l'endroit le plus pratique pour chasser à cause du peu de végétation qu'elle avait, il ne s'était pas du tout rendu compte de la présence du guerrier. Poison d'Amour sauta sur sa proie ; un piaillement, et ce fut tout. Le corps du pauvre oisillon gisait dans les griffes du guerrier de l'Ombre, mort. Poison d'Amour, tout fier qu'il était, revint de poster à côté de l'apprentie du Tonnerre et, lui indiquant le corps mort, lui sourit. Après quoi, il s'assit sur le sable, mordit dans sa proie et mangea sans se soucier guère de la présence de la jeune chatte. Entre deux bouchées, il prit la parole :

- M'est avis que tu ne saurais même pas en attraper un comme moi je l'ai fait. Ton mentor doit être... handicapé au plus haut niveau, comme tous ces chats de ton piètre Clan.

Il mordit une nouvelle fois dans l'oiseau, sans évidemment en proposer à la chatte. Et puis quoi encore ? Il n'y a pas marqué "fournisseur" sur mon front, et ces foutus chats du Clan du Tonnerre doivent apprendre à chasser seuls ! D'autre part, j'ai trop faim, donc il faut que je mange. Mais quel goinffre celui-là quand même, il ne peut pas rester plus de deux heures sans rien manger. ^^
Le guerrier de l'Ombre repoussa la caracasse de l'animal volant un peu à côté ; il l'avait dévoré. Il se lécha les babines pour enlever les morceaux de viande qui étaient restés, et souriant, se releva. Dans l'allure la plus fière qu'il pouvait être, il dit alors :

- Au fait, tu feras passer à ton meneur que des apprentis sortent de son Clan sans même qu'il ne s'en aperçoive. Déjà qu'il n'était pas bien haut dans mon estime - je dirais même qu'il est plutôt bas - mais là, ça devient... pitoyable. En outre, je ne vois pas ce que tu fais ici, puisque un apprenti n'est pas censé sortir de son Clan tout seul, il ne te l'a pas appris, ça, ton mentor ? Enfin bref. Pitoyable.

Son sourire malsain éclairait son visage.
Cette situation l'amusait au plus haut point.

[Bon, sorry si c'est nul, j'ai pas d'inspiration, ça me gave.]